dimanche 20 juillet 2014


Consultez notre site officiel : 

caquetants.wix.com/accueil

Ce blog sera destiné, dans l'avenir, à des posts, des échanges avec les spectateurs, ou aux actualités importantes de la compagnie.

Trois spectacles sont en cours.

I. Hughie

...Une pièce d'appartement, que vous pouvez recevoir gracieusement dans votre salon ! Contactez-nous !

    II. L'Opéra de Quat'sous 
Same




D'abord, pourquoi se lancer dans un Opéra, et surtout, sans chanteurs aguerris ? Assumons que le théâtre n'est pas un sermon de codes esthétiques, mais un art populaire ouvert, visant à éveiller les consciences nues. Quoi de plus représentatif, alors, qu'un "Opéra pour les Gueux" ?

Vu du peuple, entrer dans un opéra est un défi risqué, plus encore que d'assister à une pièce de théâtre : un langage codifié, une musique lyrique, imprégnée de son époque, une fable empreintes de symboles, une langue emphatique. A tous égards, l'opéra apparaît aux yeux du profane comme un art suranné.
L'autocensure - en art comme ailleurs, c'est la récession : le complexe du "je ne peux pas comprendre" a perclus une part de notre société, et nous nous y refusons. Dès lors, pour un metteur en scène autodidacte se plaçant dans la salle, il convient d'offrir au peuple un Opéra "dédramatisé". 
Plutôt que d'atomiser un genre, pourquoi ne pas le réinventer ? C'est ce que propose Jacques Clément depuis que son monde est monde. Et cette même démarche a mené Bertold Brecht et Kurt Weil à écrire "l'Opéra de Quat'Sous", à partir de "l'Opéra pour les Gueux" de John Gay. Simplissime dans son écriture, tant syntaxique que musicale, cet Opéra est écrit pour des comédiens, et non des chanteurs. Il ambitionne, au-delà du pastiche, d'amener au théâtre des populations qui en sont privées. Mais ce qu'ignoraient Brecht et Weil, c'est qu'en devenant eux-même des monuments, il se sont substitués à la pesanteur d'un opéra qu'ils voulaient faire vaciller. Car la fable et la composition musicales des Quat'Sous sont quasiment devenues des classiques !

Notre propos s'appuie bien sur l'obsession de faire parler l'Opéra à nos contemporains, de jouer de notre liberté d'amateur pour aborder cet Opéra dans un esprit carnavalesque décomplexé, où les comédiens sont personnages, marionnettes, chanteurs, musiciens... tout à la fois, où la pièce risque de n'être pas reconnue par les puristes. Et tant mieux.


Quelques motivations politiques

Cet Opéra apparaît à première vue comme une guerre des gangs, entre bandes rivales qui se battent pour un morceau de territoire et un paquet de pognon. Les classes sociales représentées ont érigé leur violence en nouvelle moralité et c'est avec inconscience qu'elles se livrent aux pires abjections, compromissions, trahisons, corruptions...
Pourtant, les personnages, haut en couleurs, se trouvent attachants de part cette même inconscience qui les mène à la catastrophe : persuadés de leur bonne action, ils chantent leur bonheur ou leur malheur de vivre au nom de l'humanité.
C'est cette contradiction apparente qui a rappelé à Jacques Clément l'expérience de Milgram : entre autres conclusions tout à fait édifiantes, cette expérience de psychologie réalisée entre 1960 et 1963 amène à démontrer que, sous certaines conditions de pression sociale, un individu est capable de s'affranchir de problèmes de consciences pour accomplir des actes de pire violence. Cette résonance avec les pires génocides de l'Histoire (voir "Les Origines du Totalitarisme", par Hannah Arendt) a toute sa portée dans l'Opéra de Quat'Sous : les personnages, persuadés que l'argent mène le monde, en oublient la  morale sociale et se lancent dans une quête égoïste de pouvoir, sous la pression d'un arrivisme petit bourgeois.
Par là-même, le bien et le mal ne trouvent plus d'objectivité, à tel point que le spectateur lui-même pourrait se surprendre à légitimer l'horreur. Tous les personnages ont leur "bonne raison", défendable quoique non excusable, et la chute finale de la pièce, retournée en inique rédemption, renverse une dernière fois les règles de fausse justice nouvellement établies.
Propres au carnaval, à la pantomime, ces jeux de distanciation, paraboles de la Révolution sociale, nous les voyons aujourd'hui projetés dans l'atomisation des classes modernes, interpénétrées mais non assimilées, installées mais dénudées de leur codes, libérées mais libéralisées, en un mot : perdues dans la complexité du monde. L'oppression hier, l'intégrisme demain, comme béquilles de notre âme devant la violence du monde, ne doivent pas être la solution. 

JMG sur les propos de Jacques Clément

Comment faire parler les Quat'sous aujourd'hui ? (14/08/2014)


« Je suis, écrit Brecht à un comédien, dans l'état d'esprit d'un mathématicien à qui l'on assurerait : je suis d'accord avec vous, deux et deux font cinq ».
Quand le public bourgeois fit un triomphe à l'Opéra de quat'sous en 1929, Brecht suggéra que le succès de l’Opéra de Quatr’ Sous reposait sur un malentendu. Début d'une série de qui se poursuivra tout au long de la carrière de Brecht. Ou il sera refusé comme un nihiliste, condamné comme un auteur à scandale, ou il sera applaudi comme un poète.

Brecht avant la pièce

La Première Guerre, où il fut réquisitionné en 1918 comme infirmier, le sensibilisa aux idées révolutionnaires socialistes. Dès 1919, il défend avec Jean La Chance  la thèse suivante (omniprésente dans les Quat’ Sous) : le monde ne permet pas à l’homme  d’être bon, il faut trouver en soi la force de se défendre contre la brutalité du monde. Mais comment conserver la bonté dans un monde vénal, régi par le mensonge?
Pour simplifier, Brecht écrit essentiellement jusqu’en 1926 des pièces de fiction, teintées d’ironie lyrique, sur la société allemande désillusionnée de l’après-guerre, avec délire et démesure (Baal, Tambours dans la  Nuit, Dans la Jungle des Villes). L’homme manipulé, démonté, reconstruit sur la chaîne de montage de l’armée, apparaît dans Mann ist Mann. Puis le concentré des vénalités humaines s’incarne plus clairement dans la petite bourgeoisie, avec La Noce. A partir de 1927, il fait l’expérience du «théâtre politique» : soucieux de comprendre les mécanismes socio-économiques qui régissent le monde contemporain, il commença à lire l'œuvre de Marx qu’il ne connaissait pas, mais dans laquelle il vit «un immense réservoir d’idées pour son théâtre». En 1928, il écrit donc “L’Opéra de Quatr Sous”, avec le souci de condamner le « théâtre culinaire », « branche du trafic bourgeois de la drogue ».

Accueil de la pièce

Pour remanier, deux cent ans plus tard, L’Opéra des Gueux de John Gay, Brecht déploie une satire féroce, une désinvolture romantique et une indignation anarchique, un humour cruel porté par des songs originaux. Cet opéra sans faste et sans falbalas, où les héros sont des gueux, où les musiciens et les comédiens semblent des artistes pauvres, itinérants, étrangers au lieu, peut être propice à se jouer dans une cour, un gymnase ou un entrepôt.  Sur le thème de la lutte des classes, cette épopée lyrique et cynique des bas-fonds met en abîme, dans le monde des mendiants, les tares propres à la société bourgeoise : arrogance, hypocrisie, exploitation tyrannique, veulerie, corruption… A la sortie de la pièce, la connivence des criminels avec les gardiens patentés de la loi et de l'ordre public, érigée en postulat, a déclenché de vives polémiques, les procédés de distanciation assumant un critique de la société réelle.
Mais, si la musique de Kurt Weill, qui recourt à des rythmes et à des instruments populaires, ajoute encore au mordant de l'œuvre, les « songs » en argot berlinois, avec leur allure de rengaine triste jouxtant au tragique, toujours sur le fil de la diatribe, sut charmer le public, tant ouvrier, étudiant que petit-bourgeois, lassé des soporifiques fictions d’amoureux et de soubrettes, avide d’entendre parler de son temps – sans vouloir pour autant se sentir nommément visé !
Pour Brecht, l’explication tient à un mélange trop élégant d'éléments formels (structure classique de l'opéra, scènes, airs et récitatifs) et d'éléments formulés (l'introduction dans le déroulement de la pièce de panneaux sur lesquels les titres des scènes sont projetés ; la rigoureuse séparation des trois plans : diction naturelle, déclamation, chant). Brecht reconnaît son erreur et, sans abandonner son projet initial (« Même si l'on se proposait de mettre en discussion le principe de l'opéra, il faudrait faire un opéra »), entreprend de se corriger : avec Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny, qui provoque un approfondissement de sa réflexion esthétique et un essai de définition du théâtre « épique », il choisit la violence, la caricature. Le tumulte qui accueille la première à Leipzig lui apprend qu'on ne peut respecter ses règles et transformer le théâtre bourgeois.
Renonçant aux impulsions, aux formes et même au vocabulaire romantiques, il allait s'engager ensuite dans la voie austère des pièces didactiques : « Je n’écris pas pour la racaille qui ne recherche que l’émotion ».

" C'est en lisant le Capital que j'ai compris mes pièces ! " 

En 1930, pour écrire Sainte Jeanne des abattoirs, Brecht suit des cours d'économie politique à l'Ecole Ouvrière Marxiste de Berlin : il pense avoir trouvé dans le marxisme le facteur idéal de distanciation. Toutes ses pièces explorent et interrogent l'histoire à travers les rapports et les contradictions sociales, offrant le recul nécessaire au spectateur pour trouver les instruments de leur transformation dans l’ère scientifique. L'effet de distanciation renvoie lui-même à la problématique marxiste de l'aliénation : "étrangéiser" une réalité altérée par la société d'exploitation, c'est commencer à la désaliéner ou à s'en désaliéner. Pourtant, Brecht n'omettra pas de garder lui-même une distance avec l'idéologie lorsqu'il jugera qu'elle enferme ou aveugle, ou bien qu'elle se heurte fatalement à l'expérience. C'est sans doute pourquoi, tandis qu'on lui reprochera d'un côté cette foi marxiste, l'histoire sinueuse de ses relations avec le parti communiste montre que son théâtre s'est parfois heurté, d'un autre côté, à un profond scepticisme. 

Petit cours d’économie politique (paragraphe facultatif)

Il est peut-être temps de prendre un petit cours d’économie, comme l’a fait Brecht au moment où il écrivait l’Opéra. Thomas Piketty, chercheur renommé, publiait en 2013 « Le Capital au XXIe siècle ». 
Voici un résumé de l’introduction, très instructive. Piketti étudie, depuis vingt ans, la répartition des richesses en France. Il travaille en collaboration avec des chercheurs un peu partout dans le monde pour généraliser son étude.  
Les premiers économistes à s’intéresser à ce problème majeur sont, au XVIIIe, Malthus et Young. Dans le contexte de l’explosion démographique, amenant aux révolutions anglaises et françaises, leurs conclusions sont d’un pessimisme sans appel : la surpopulation est la principale menace. La solution ? Supprimer les systèmes d’assistance aux pauvres et contrôler leur natalité… Imaginons Brecht lisant cela. 
Au XIXe, Ricardo va plus loin dans l’analyse : la surpopulation introduit la surexploitation des terres, donc leur raréfaction relativement aux autres biens, donc une progression démesurée de la rente foncière, donc une accumulation du revenu national.  La solution ? Augmenter sans cesse les impôts sur la rente foncière. Pour les biens lambda, ce « principe de la rareté » entraîne normalement une augmentation des prix, donc une baisse de la demande, donc un équilibrage « naturel ». Sauf que ceci ne s’applique pas aux biens dont on ne peut pas se passer pour vivre : pour l’époque, essentiellement nourriture et habitat. D’où l’accumulation des richesses bien observée. Sauf que le chaos annoncé n’aura pas lieu grâce à la révolution industrielle : la part de l’agriculture a inexorablement baissé depuis le XIXe, et l’habit des riches d’hier sera remplacé par un autre…  
C’est Marx qui sera témoin de cette transformation de la société sous l’essor du capitalisme industriel. Face à la misère du prolétariat, pourtant moteur primordial de la croissance, et à l’augmentation du capital dans le revenu national, Marx théorise le « principe d’accumulation infinie » et prédit une nouvelle révolution apocalyptique. Celle-ci n’aura lieu qu’en Russie, là où la révolution, industrielle cette fois, avait à peine débuté, et tardivement, pendant que d’autres pays expérimentaient une voie plus sociale-démocrate. Comme Ricardo, Marx s’est exalté du contexte socio-politique de son temps, ce qui l’a amené à négliger qu’un progrès technique durable et une croissance continue de la productivité permettent, dans une certaine mesure, d’équilibrer la concentration des capitaux privés : il leur manquait l’outil statistique. Bien sûr, la guerre a modifié profondément la donne et l’on peut toujours conjecturer qu’elle a empêché – ou déplacé, selon les affinités – la révolution marxiste. 
Cependant, Marx ouvre la brèche d’un problème fondamental et très actuel au XXIe siècle : dès lors que le taux de croissance de la productivité reste faible, les patrimoines accumulés dans le passé prennent une importance considérable, et durablement. C’est ce qu’on observe dans le monde depuis les années 80, et qui se renforce depuis la crise de 2009 : les taux de rendements du capital sont plus élevés que le taux de croissance. Ainsi, la concentration des revenus a atteint aujourd’hui son niveau de 1910, prélude de la guerre. Jusqu’au XIXe et depuis quelques années [1].


[1] Quelques prolongements annexes : Contre l’idée communément admise chez les citoyens abstentionnistes lors des échéances électorales, le processus de décision politique est essentiel dans les problèmes de répartition  de ressources : comme le défendait Brecht à l’égard de ce qu’il appelait les sciences de la nature, le plus grand facteur d’inégalité est le partage du savoir par la qualification et la formation. De tous les temps, les politiques interventionnistes ont été nécessaires pour réguler la tendance naturelle des sociétés à l’inégalité, mais, si tant est qu’elles soient menées, le temps que des résultats soient tangibles, et un mandat est passé !


Projection pour l’Opéra de Quatr’ Sous


Pour rester le plus fidèle possible au théâtre de Brecht, actualiser les idées défendues dans L’Opéra de Quat’ Sous est une nécessité. En théâtre, la fidélité ne consiste pas à retrouver une pseudo authenticité conjoncturelle où l’art théâtral perd sa seule fonction. C’est pourquoi il convient d’opérer des transpositions non négligeables à notre société.
Il est remarquable que la pièce ne montre finalement aucune des classes sociales dans son état  coutumier, en vue de les distancier. Il est important d’en profiter pour transposer les classes et leur lutte, quand celle de Marx est aujourd’hui épuisée, de par la recomposition des classes. 

Les classes sociales :

- les mendiants : comme dans la pièce de Brecht, la vraie pauvreté est aujourd’hui grandement cachée. Mais elle est bien là.
 Chiffres INSEE 2011 : 14,3 % de la population française gagnent moins de 60 % du SMIC, soit près de 9 millions de personnes. Le chiffre n’est pas passé en dessous de 13 % depuis 30 ans ! 30 % des personnes qui tombent dans la pauvreté y restent au moins 3 ans.

La plupart des bidonvilles ont disparu, ce qui a détourné la pauvreté de l’exposition médiatique - on se focalise aujourd’hui sur les camps de Roms, non représentatifs de la pauvreté en France. Les profils les plus nombreux sont les familles monoparentales et les ménages immigrésAujourd’hui, quand on est pauvre, on ne mendie pas, on se cache, on mange des pâtes et du jambon, on engueule ses enfants qu’on voit mal tourner. Rarement, on descend dans la rue
Qui sont les mendiants que montre Brecht ? N’est-il pas trop conformiste de les considérer comme des jouets d’un dessein commercial ? Pour signaler cette futilité, nous pourrions les représenter comme des marionnettes représentant les consommateurs de la vraie pauvreté.

- les brigands : reclus dans les cités, enfants de pauvres, déscolarisés, dealers, receleurs (loin de l’image vieillie du mafieux)… De manière générale, ceux que le système n’arrive pas à intégrer. Manipulés par Mac, « ne parvenant pas à s’élever », ils sont les représentants d’un système social toujours plus inégalitaire.

- les prostituées : les filles de l’Est ou d’Afrique, créchant sous les abris-bus, ou dans les bars américains. Se renseigner : y a-t-il encore aujourd’hui une clientèle habituée, en quête d’une confidente, d’une famille ? Ici comme ailleurs, ne préfère-t-on pas du changement et de l’anonymat ? 
Dans la pièce, on voit des femmes faussement heureuses, parfois battues, dans un rôle social de tiède. Les marionnettes encore peuvent symboliser la femme-tronc, réduite à ses attributs sexuels.


 - les bourgeois : au sens marxiste, c’est-à-dire d’employeur et détenteurs des moyens de production,  les bourgeois sont incarnés par les Peachum et Mac. De nos jours, la bourgeoisie s’est profondément recomposée, car son « esprit bourgeois » a contaminé jusqu’aux couches populaires, en quête du confort matériel maximal ! Le bourgeois au XXIe, on pourrait le redéfinir, schématiquement, comme détenteur d’un capital :
- économique : petite bourgeoisie commerçante d’un côté, super-cadres, patrons (pouvant fixer eux-mêmes leur rémunération), professions libérales de l’autre.
- patrimonial : héritiers, rentiers, propriétaires (charges d’ancien régime, immobilier...)
- culturel : on les retrouve, par exemple, au théâtre (intellectuels, bobo)
Dans l’écriture, Peachum et Mac ont acquis le premier capital. Seraient-ils devenus héritiers aujourd’hui ? Mac pourrait-il évoluer en bobo (au sens anglo-saxon, les « hipsters » désignent les adeptes de codes culturels dépolitisés, volontairement éclectiques et superficiels, mêlant des éléments de culture de masse à des éléments de contre-culture ) ?

- l’aristocratie : invisible dans notre société (comme dans la pièce), sinon dans les magasines people pour femme d’intérieur, elle est présentée dans l’Opéra  comme une royauté de papier, sauvée par une  révolution anglaise moins ambitieuse que la nôtre. Aujourd’hui, la société anglaise continue de se traîner une noblesse héréditaire (pairies de la chambre des Lords in-réformables !)
Mais le monde est perclus de nouveaux aristocrates, surtout dans les récentes pétromonarchies qui accumulent les richesses  (quand paierons-nous notre loyer à l’Emir du Qatar ?).
L’arrivée providentielle du hérault ajoute au ridicule de la situation. Le hérault pourrait-il être en costume émirati (taoub et keffieh) ?
Quant au cheval, Brecht écrit en 1954, au sujet de celui de Charles le Téméraire : « Je me souviens, du cheval comme s'il sentait l'horreur de la situation historique, il avait d'énormes yeux remplis d'effroi ». Au vu de l’immoralité joyeuse de la fin de l’Opéra, on pourrait comprendre son regard.

La lutte

La seule lutte sociale que l’on voit dans cette pièce, c’est le conflit de pouvoir entre Peachum et Mac, donc à l’intérieur d’une classe. Les autres classes sont entièrement soumises, même la police et son semblant d’autorité.
Seule Jenny, icône féminine, se révolte en livrant Mac à la police, tout en continuant à idéaliser son éthique. Le duel Polly/Lucy peut rester anecdotique, sauf à lui donner une symbolique de lutte de pouvoir.
Peachum brandit la menace de la révolte, mais on ne la voit pas venir, sauf par une armée de faux mendiants. Les « vrais mendiants » sont encore absents.
Cette absence de lutte est finalement très actuelle :
-  aujourd’hui que tout est lissé, le bourgeois s’habille (presque) comme le prolo.
- les classes sociales se mélangent peu, elles ont leurs quartiers, leurs lieux de sorties, leurs codes. Dans les pays non occidentaux, c’est bien pire : la ségrégation est une institution admise.

Le Marionnettiste de Łódź  

Actualité : consultez et téléchargez le reportage France 3 du 31 Octobre  ! "Le Marionnettiste"a été primé, le 2 Novembre 2013, La Tour d'Or au concours national Festhea.
 Il a participé au festival national de Châtillon-sur-Chalaronne.
Il a eu l'honneur d'être sélectionné le 31 octobre 2014 au  Grand Prix Chrles Dullin.

Comédiens :  Jean-François Cloarec, Martine Denimal, Jean-Michel Guieu, Jean-Marc Poupinaïs.
Musiciens : Deborah Luca, Manon Maurin, Norbert Gauthier.
Régie : Patrick Grussy et Jean-Maurice Spinosi



Le marionnettiste, c'est fini (pour l'instant... ?)
JMG

Plaidoyer pour un miroir


Un miroir renvoie à notre œil l'image fidèle, quoique chirale, d'un événement survenu dans notre monde. Cette image, elle aussi, est située dans notre monde, car elle y est perçue, elle est donc non moins réelle que l’action qui l’engendre. Et pourtant, l’image n’est pas tangible. 
Il y a ici un conflit du même ordre que celui qui régit la représentation. 

D'abord, la représentation crée une action tangible et renvoie une image active de la réalité. Présentement sensible, elle a tous les attributs d'une réalité, mais d'une réalité fantasmée, miroitée, dépassée, quoiqu'engendrée par le monde réel.

Elle n'a rien de virtuel : une représentation se produisant "de l'autre côté" se couperait irrémédiablement du public, donc du monde qu'elle est censée poétiser. 

Pourtant, ce qui lui confère sa théâtralité est de l'ordre d'une "magie" qui sublime l'acte réel. Vous vous lavez les dents devant la glace : pour susciter et élever l'intérêt d'un public au-delà du voyeurisme, il convient de trouver dans l'acte du brossage une force que la réalité ne comporte peut-être pas et une poétique permettant d'y loger l'universalité de l'acte. La mobilisation physique et imaginaire de l'acteur est nécessaire mais non suffisante, elle doit se doubler d'un quelque chose de l'au-delà, qu'on appelle le théâtre.

La représentation n'est pas un mimétisme de l’acte réel, d'autant plus qu'elle le mimerait au sens artistique. De même, l’image optique n’est pas un calque : elle est insufflée par la nécessité vitale de son acteur, elle produit une chorégraphie concomitante à l'acte, en aucun cas elle ne re-produit la réalité. Figeons l'action du brossage de dents : à chaque instant donné, le mouvement en cours se prépare déjà au suivant : une reconstruction précise de cet acte serait mort-née au théâtre. De même dans la danse, on suit un partition au cordeau mais l'art de l'interprète est de s'approprier la dynamique du temps ; ainsi, une même chorégraphie produit autant d'images que de corps. 

Ni réelle, ni virtuelle, la représentation est un parallèle de notre monde, et comme parallèle, ne le rencontre pas et vit dans sa propre dimension. Elle communique ainsi une similitude du réel, au sens strictement homothétique : elle peut l'agrandir, le diminuer, le chambouler, mais elle lui conserve sa forme. Ce dernier point est essentiel pour conserver un public : sans la forme du réel, le théâtre se vide. Le metteur en scène ne doit pas se contenter d'une forme évocatrice, fantasmée, inspirée par un mouvement pictural quelconque, il est le médium humain corrélant les univers - du présent et du futur, du  réveil et du rêve, de la société et de l'idéal. 


Il survint un jour où le cliché photographique représenta la nature mieux que la peinture ne pouvait le faire : celle-ci choisit de se tourner vers l'impressionnisme, puis vers l'abstraction, parfois jusqu'à la disparition de la forme : cet écueil de l'extrême, expérimenté par les courants les plus variés (politique, économique, religieux...) n'est pas nécessaire à la maturation d'un art car il distance les peuples, avec le dessein de les tirer vers une conception (quitte à leur tirer dessus) censée accélérer l'histoire. Au contraire, il crée une certaine élite, éduquée à voir, et oriente l'art de demain en discriminant le regard neuf. Il perd l'universalité de l'humain face au miroir. Pire, l'excès érigé en théorie interdit la rétractation, toute nuance étant qualifiée de réactionnaire. La peinture, violée par la photographie, a eu un temps le réflexe du rejet, plutôt que de la libre concurrence. 


Le théâtre a, lui aussi, connu l'amère immixtion d'un art dans son domaine de représentation dynamique : le cinéma. Celui-ci réussit une belle prouesse : confondre l’observateur par la similitude sensible qu’il extirpe de l’acte réel. Une image cinématographique peut renvoyer une émotion plus forte que le réel, par des moyens optiques élémentaires. Dès lors, quelle réaction peut entreprendre le théâtre face à ce loyal concurrent, sans se couper des peuples ?


Premièrement, il convient de cibler le rapport du théâtre et du cinéma au temps. 

La dimension temporelle, au titre encore géométrique (certain dirons au titre relativiste), est une coordonnée de position qui a, d'un point de vue de la théorie de dimensions, la même nature que les trois coordonnées de notre monde tangible. Comme on l'a vu plus haut, elle intervient dans la définition de réalité au même titre que l'espace sensible, et influe donc la représentation. Tant le théâtre que le cinéma déshabillent la fable de son temps originel, et à ce titre, ils sont à égalité devant la distance naturelle qu'ils interposent entre l'histoire et la représentation - distance à combler elle aussi, par le choix adéquat d'un thème et d'une esthétique. Mais, pour en rester au sujet de la représentation, le cinéma déplace, en supplément, la dimension temporelle de l'acte produit, contrairement au présent du plateau, et donc déplace d'autant le réel. Elle impose donc une perte sensible de taille : en perdant la simultanéité, elle efface l'espace qui sépare l'œil de l'action produite et perturbe les quatre dimensions corrélées de l'espace relativiste.
L'art cinématographique tord ainsi toutes les dimensions concrètes de notre monde, alors que tout un chacun nous assurera que, parmi tous les arts, le cinéma est sûrement le plus accessible.
Bien sûr, le cinéma vient chez vous, et le théâtre non, car il ne peut transporter les meubles. Ce qui interpelle, c'est l'idée élitiste que le peuple s'en fait, comme si le théâtre s'était compromis aux excès abstractifs. Et en plusieurs sens, le théâtre contemporain s'est effectivement isolé sur un plateau expérimental où le peuple ne se retrouve plus.
D'abord, dans la thématique des sujets présentés. On part d'un constat simple : pourquoi les pièces de divertissement pur (boulevard moderne, comédies de célibataires...) remplissent-elles les salles, de même que le "théâtre rasoir" dénoncé par Peter Brook ? D'abord, car les thèmes, quoique modestes, parlent aux gens, ensuite car leur forme ne nécessite aucun prérequis d'ordre artistique. On peut critiquer cette forme, comme miroir non réfléchissant de la distraction, mais son succès nous oblige à nous nous y regarder, avant de devenir des spectres. Il n'est pas question d'offrir au public ce qu'il veut, mais de comprendre ce qu'il veut pour savoir l'amener ailleurs. Ne pas croire que le théâtre rasoir soit né d'une vacuité laissée par le théâtre ambitieux, plutôt partir de ses réussites. Ne pas dénigrer les salles remplies sous prétexte d'un art d'avant-garde, plutôt convaincre les hommes à défendre auprès des Etats la nécessité du théâtre.
La question demeure : où le théâtre doit-il donc se situer pour mieux nous parler ?

D'autres formes plus subtiles rentrent en jeu. Il est rare, sauf à se se contempler dans un miroir (au prix) astronomique, que la réflexion soit parfaite :  éclairages, humeur, projections de gouttes asséchées sur la vitre, tentatives mal essuyées de les faire disparaître... quelque origine que l'on y trouve, les imperfections sont partie de l'image et, plus encore, lui donnent sa couleur. L'exemple avancé par Brook au sujet de la musique électronique, dont il a fallu entacher la perfection pour la rendre plus humaine, est du même ordre. Dans le cadre de la représentation sur le plateau, le médium humain demeure le seul vecteur, dont il convient de transfigurer l’essence impure et subjective. Les tentatives mal essuyées de dissimuler les fragilités de l’être sont avortées au théâtre car celles-ci en constituent le seul langage. Elles sont l’interface entre l’acte-père et l’image-fille et sans elles, pas d’image, pas de représentation.

L’impureté sublime le réel sans affecter ses quatre dimensions : à mon sens, c'est dans ces actes concomitants que réside le rôle théâtral, à l'opposé des options de l'art cinématographique.

Cette impureté doit contaminer

- le thème : le vulgaire touche les gens plus que l'idéal ;
- le corps : la gestuelle malhabile communique davantage d'égalité que la technicité ; 
- le costume : l'habit social est plus ambigu que la nudité ;
- la scénographie : l'indigence n'est pas le décor du vide, les gens veulent un spectacle complet, et le talent, l'imaginaire du scénographe se passent bien de gros sous ;
- la dramaturgie : les lectures à tiroirs doivent être des suppléments d'âme, la subtilité ne doit pas dissimuler le sens premier ;
- la mise en scène plus globalement, mais surtout : le langage.
Quel langage doit adopter le théâtre pour exprimer les impuretés optiques, et ainsi, se rapprocher de l'homme ?
Une raison majeure, qui n'a pas vieillie après un siècle de sévices, et que notre metteur en scène Jacques Clément n'a de cesse de défendre, réside dans notre considération occidentale du TEXTE.
"En finir avec les chefs-d'oeuvre" claironnait Antonin Artaud, dans "Le Théâtre et son Double" !
Si le texte-père déclenche l’acte, il n’est qu’un stimulus par d’autres. Or, comme on a essayé de le défendre dans Le Marionnettiste de Lodz, le théâtre doit user de tous les moyens sensibles impurs inimaginables pour communiquer son actualité temporelle. Le texte littéraire, comme source intellectuelle du jeu, n'est  pas le lieu du théâtre fleuve, il est trop abstrait, symbolique, et surtout, chargé de prérequis qui intimident l'homme. C’est le processus actif de transformation du texte qui porte le théâtre, et lui donne sa raison d’être.
On voit donc aujourd’hui de magnifiques productions théâtrales lancées par des metteurs en scène autodidactes (Joël Pommerat par exemple) qui ne considèrent pas le texte comme une fin, mais comme un matériau parmi d'autres, qui s"écrit en répétition, simultanément aux autres vecteurs de communication. Il restera à retrouver cette concomitance pour aborder des textes classiques, sans se casser les dents sur les pesanteurs des concepts et l'archaïsme des mots.

Il convient de réhabiliter avant toute chose l’image dynamique silencieuse, non le miroir historique ou l’instigateur textuel.
Ceci explique peut-être cela : des textes vides d'intérêt connaissent alors le succès d'un public en réaction contre l'obscur. 

Le théâtre doit s’enrichir d’autodidactes de la société civile, pas seulement de lettrés, qui le retranchent dans des mondes virtuels où, pour entrer, il faut avoir le prisme.
La nature est bien faite car ce réflexe de la société s’opère de lui-même, avec deux sous, trois chiffons et quatre planches, dans les faubourgs associatifs. 
A eux de nous offrir leurs prismes divergents. Le sacré n'a pas besoin de nous.


JMG




Lettre ouverte sur le théâtre
Comment déplacer le sens du quotidien - objets, événements, gestes devenus anodins,
Comment retrouver les tréfonds de l'Homme dual, comique et tragique,
Comment s'engouffrer dans un autre cours que celui des choses,
Comment regarder le monde autrement, avec l'oeil de l'enfant,
le paysage frangé du ciel, de la terre et de la mer,
le paysage mouvant de nos sentiments,
le paysage figé par les photos de l'Histoire ?
Le Théâtre est un questionneur de réponses. Il projette l'affirmation pour susciter la question.
Il assène des vérités éternellement mouvantes, comme un rocher précisant sa forme suivant le lieu du soleil.
Il n'est ni la thèse, ni l'antithèse, il n'est pas là pour se questionner lui-même, ni non plus pour convaincre "celui qui est venu".
La responsabilité du Théâtre, c'est d'emmener l'homme dans un univers inconnu qu'il a l'impression de reconnaître, de le confronter à l'inconfort parfois, à l'émotion toujours, de lui montrer l'étendue des possibles comme métaphore de la liberté.

JM.G